Un article publié le 28/04/2006 et mis à jour le 21/01/2023
Il est habituel dans les consultations de sexologie, lors des entretiens préliminaires de poser la question de son éducation sexuelle à la personne consultante. Un article écrit par Dominique Deraita, sexologue clinicienne
Mon attention est retenue à chaque fois par la ressemblance dans les réactions à cette question, particulièrement au terme d’éducation.
La plupart du temps le mot ne semble pas d’emblée si clairement évocateur : soit il revêt plusieurs notions qui se superposent ou se mélangent, (l’éducation sexuelle à l’école, les partages avec les copains, les lectures diverses), soit la première réponse qui s’esquisse va plutôt du côté de « aucune » et s’interrompt en cours de formulation devant l’étrangeté de cette réponse qui finalement se bloque.
Je me suis donc interrogée sur cette notion d’ « éducation sexuelle ».
En soi le terme peut recouvrir les notions : de savoir, de savoir-faire et de savoir – être.
Les « filières » éducatives des savoirs sont en général école et famille, auquel s’ajoutent les groupes de pair, les documents écrits ou visuels, et maintenant (faut- il dire déjà surtout ?) Internet.
Les milieux professionnels se partagent l’accès aux savoir- faire, les apprentissages. Quant au savoir-être il reste de l’ordre du privé, voir de l’intime : cercle de famille, associations ou milieu confessionnel, ou de développement personnel.
Concernant l’apport de l’école pour tous dans le domaine de la sexualité, il se limite la plupart du temps encore à quelques heures d’informations plutôt anatomiques ou biologiques dans le cadre des heures de SVT au collège.
Les jeunes les plus chanceux auront accès parfois à quelques groupes de paroles ou quelques sessions d’information plus ouvertes sur des aspects plus spécifiques de la vie sexuelle, souvent animé par des intervenants extérieurs à l’école : animateurs de prévention, intervenants santé ou conseillères conjugales et familiales ; mais trop souvent encore orientés sur l’aspect « risques » de l’amour à l’heure ou pour chaque jeune il rime avec HIV, IST(Infections Sexuellement Transmissibles), ou contraception.
Pour un grand nombre d’adultes que j’ai pu rencontrer en cabinet, interrogés sur ce qu’ils conservaient de ce contact avec l’éducation sexuelle à l’école, rares ont été les réponses autres que « pas grand-chose ».
En continuant de les interroger plus loin sur « mais comment donc avez-vous été informés ? », la majorité affirment avoir constitués les bases de leur savoir en la matière avec les copains ou les copines, et pour les jeunes d’aujourd’hui à travers des productions pornographiques en vidéo ou sur Internet.
Viennent ensuite les informations glanées sur des sites Internet consacrées à ces thèmes en dehors de toute pornographie, sites de plus en plus nombreux.
Et enfin pour quelques uns les livres ou documents que les parents les plus ouverts leur ont mis entre les mains : des encyclopédies pédagogiques les plus courantes sur le marché aux livres consacrés au thème en fonction de tranches d’âge.
De toutes ces informations seules les dernières seront parfois, exceptionnellement partagées avec les parents, la plupart du temps la lecture sera conseillée, sans qu’aucun dialogue ne s’instaure autour des informations proposées.
Bien sûr en tant que thérapeute je ne reçois qu’une fraction de population qui souffre justement de troubles liées à la sexualité ; ceux qui vont bien et que je ne reçois pas ont peut être bénéficié d’une meilleure qualité de dialogue sur le thème de la sexualité.
Le plus grand nombre aura donc constitué son savoir en dehors quasiment de tout dialogue avec un ou des adultes référents, et la plupart du temps aussi dans le secret, la honte, la culpabilité dans tous ces moments autour d’images pornographiques.
Par ailleurs, il semble admis et évident pour la plupart des personnes reçues, que le savoir sur la sexualité n’est pas matière à partage familial. Certains sont d’ailleurs très étonnés si je leur demande si cela leur a manqué de pouvoir échanger sur ce thème en famille.
Et s’il est tout à fait compréhensible et cohérent de considérer que le respect du tabou de l’inceste et de celui de la sexualité des parents justifient pleinement les limites et les précautions à prendre en cette matière, il est peut être possible de s’interroger au 21ème siècle en France, sur une ouverture saine et respectueuse en matière de partage sur la sexualité en famille.
Sachant qu’une part importante de ces savoirs se transmettra dans le non-dit, par les comportements : la pudeur ou non pratiqué par les adultes à la maison, les limites claires des territoires privés de chacun : du couple, des enfants, et des territoires communs, les comportements adoptés par les parents relatifs à leur vie de couple, les limites posées ou non d’accès aux programmes télévisées publics ou câblés, l’accès réglementé ou non à l’ordinateur familial et à la connexion Internet, etc. …
Sans doute avant de pouvoir envisager cette ouverture dans la vie familiale manquons-nous encore de capacités, de formations, de savoir – faire, pour pouvoir la mettre œuvre.
Devant l’impuissance des parents, tant de fois stigmatisée, à éduquer leurs enfants, n’est- il pas temps de s’interroger sur l’éducation des éducateurs ? Qu’ont-ils reçus en ce domaine de la sexualité qu’ils pourraient transmettre : souvent peu.
Il semble nécessaire aujourd’hui d’inciter les parents à se questionner sur leur rôle, leur place auprès de leurs enfants, ces enfants qui rapidement arrivent à en savoir autant, si ce n’est plus, que leurs parents sur le monde. Ce questionnement pourrait s’étendre aussi sans dommage à l’éducation sexuelle.
Des cercles d’échanges d’informations ou des groupes de paroles à l’intention des parents existent déjà dans certaines grandes villes de France, sans parler de pays plus en avance ou plus conscients que nous (Suède, Canada par exemple). Des lieux dans lesquels des parents soucieux du devenir personnel, identitaire de leurs enfants peuvent débattre, et se poser des questions, peuvent aussi en sécurité évacuer leur malaise ou culpabilité ou maladresse à aborder ces sujets, s’interroger sur les meilleurs moyens pour accompagner leurs enfants et dans quelles limites saines. Des lieux organisés dans la confidentialité par des professionnels formés.
Ne devrait-on pas réfléchir à l’urgence de multiplier ces cercles ?
Imaginons aussi que dans les cursus scolaires, des heures d’apprentissage à la communication relationnelle, émotionnelle, non-violente, fassent partie du programme obligatoire où respect, liberté de l’autre, expression des désirs et des limites, seraient expérimentés en direct, et non plus à travers des brochures qui trainent au hasard des centres de documentation ou des lieux d’attentes, toujours sous la responsabilité de professionnels eux-mêmes formés. @@@Alors peut être nous n’aurions plus à considérer comme « normal », inévitable que les jeunes aujourd’hui envisage la sexualité trop souvent sous l’angle de la « rentabilité personnelle : investir peu pour obtenir beaucoup », ou en termes de mécanique à réparer en cas de panne.
Alors peut être entendrions nous moins souvent ces témoignages où ils annoncent avec la plus grande candeur, avoir fait l’amour le soir de leur rencontre et avoir décidé de vivre ensemble dans les 2 mois qui suivent, pour s’étonner un an plus tard de n’avoir plus de désir ou plus de communication.
Avec l’aimable autorisation de Dominique Deraita, sexologue clinicienne dans l’Herault- http://www.conseil-couple-famille.com/
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